Gustave : Quoi de neuf, Docteur ?
La musique adoucit les mœurs, c’est évident : on a décrit les effluves d’humides affections que dégage sur les foules un accord de septième bien senti. Mais est-elle aussi bénéfique au corps, à cette carcasse que nous traînons ici-bas avant d’être définitivement admis dans les chœurs célestes ? La question est d’importance à l’heure des médecines parallèles et de la musicothérapie. Le docteur B. ne nous contredira certes pas, lui dont les foules chorales souffrantes s’arrachent le supplément gratuit à « Chœur Magazine ».
Si la musique remplace avantageusement l’aspirine et le suppositoire, quels modèles de vitalité et de saine vigueur doivent être les compositeurs ! Et comment ! Un bref survol de la vie des hommes illustres de la chose musicale est limpide tout autant qu’édifiant …
A tout seigneur tout honneur, le grand Ludwig lui-même. Sourd comme un pot, d’accord. Mais sait-on que le brave Beethoven n’était plus à quarante ans qu’ne épave minée par la syphillis et la cirrhose, petits désagréments d’une origine moins innocente que le rhume de cerveau, et dont l’un fit aussi le bonheur de Schubert ? Une thérapie de choc (Missa Solemnis et Neuvième Symphonie) fit long feu, et seule la mort le délivra de ses rhumatismes, douleurs d’estomac et jaunisse chronique, dans l’après-midi du 26 mars 1827.
Prenons un modèle plus tempéré, le doux Fauré. Chez l’auteur du Requiem et du Cantique de Jean Racine, les douceurs de la musique ont eu le même et fatal effet : à cinquante-sept ans, il était tout aussi sourd, avec en sus quelques agréments comme la déformation complète des sonorités, la perception des sons graves une tierce en-dessous et des sons aigus une tierce au-dessus.
Avant de mourir hydropique, le brave Brückner eut moultes fois l’occasion de prouver qu’en dépit de ses dispositions pour la messe et le motet, il soignait discrètement une araignée au plafond. Il trouvait tout naturel de gratifier d’un pourboire le fameux chef Richter à l’exécution de ses symphonies, et consolait en ces termes choisis Mme Veuve Wagner : « Mes profondes condoléances pour l’indicible perte du phénoménal artiste, etc, etc … »
De l’innocent égarement au robuste travail du chapeau, il n’y a qu’un pas que ces grands spécialistes du chœur a cappella que sont Wolf et Schumann franchirent allègrement. Après avoir tous deux vainement tenté de noyer leur tristesse ineffable, ils finirent l’un et l’autre à l’asile, dans des circonstances peu comiques.
Nous n’épiloguerons pas, bienséance oblige, sur le cancer du rectum qui emporta l’auteur des « Trois chansons de Charles d’Orléans », Dubussy, enterré au Père-Lachaise sous le bombardement de la « Grosse Bertha ».
Bref, si tout le monde est mortel, on cherche en vain dans le Panthéon musical le vieillard ingambe, le triomphant arrêt de cœur du compositeur nonagénaire. Au contraire, on emplirait des livres sur les douteux effets de la musique en général et du chant choral en particulier. Les praticiens ne s’y trompent pas : la conférence inaugurale d’un des récents et prestigieux « Entretiens de Bichat » avait pour thème « Chopin, génie asexué ».
Ce survol révélateur et non exhaustif dessillera plus d’un œil. Et certes, un simple regard sur nos pupitres chantants révélera en un instant certains effets pervers de la musique. Ce nonobstant, et partant du principe bien connu que la musicothérapie trouve ses antécédents culturels dans les tendances récents de la psychologie anthropologico-existentielle qui lui est si chère, l’un de nos chefs de chœur favoris s’est lancé dans la pratique. L’un de ces bons vieux asiles où l’entonnoir et la camisole de force restent les valeurs sûres lui sert de champ d’expérience, champ paraît-il fertile en fruits colorés et juteux. Il est vrai que quand un réveil est cassé, tout ce qu’on risque en le précipitant au sol est de le voir redémarrer…
Quant au commun des mortels toutefois, la vue de cette cour des miracles que constitue le dictionnaire des compositeurs l’incitera à un usage thérapeutique modéré, voire homéopathique.
Argh.
Gustave